DIX TENDANCES POUR UN MONDE CARBONEUTRE

05. Réno-révolution

Une bonne partie de l’innovation requise pour livrer une industrie « net zéro carbone » d’ici 2050 se concentre sur comment construire des immeubles plus durables. Le vrai défi, cependant, c’est ce qu’il faut faire avec le vaste inventaire d’immeubles existants qui doivent servir encore pendant des décennies.

Si les gouvernements veulent atteindre objectifs qu’ils se fixent eux-mêmes, ils devront trouver des moyens d’encourager la mise à niveau des immeubles existants. Pour respecter les conditions de l’Accord de Paris, les émissions directes des immeubles doivent être réduites de moitié pour 20301 et le secteur doit réduire ses émissions totales de 95 % d’ici 20502. Dans la plupart des cas, cela requiert une modernisation : la réduction de la consommation énergétique et une augmentation de l’efficacité énergétique des opérations grâce à des changements à la structure et aux systèmes internes de l’immeuble.

Étant donné que la plupart des immeubles nécessitent une certaine modernisation, les niveaux actuels d’activité sont insuffisants. La Global Alliance for Buildings and Construction (GlobalABC) évalue comment l’industrie immobilière réagit : son Buildings Climate Tracker ou indexe de décarbonisation montre que depuis 2017, la progression mondiale vers l’objectif net zéro a été négative3.

L’EMPREINTE CARBONE DES IMMEUBLES A EMPIRÉ DEPUIS 2017

Qu’implique la modernisation de notre inventaire d’immeubles ? Pourquoi la progression est-elle si lente ? Qu’est-ce qui manque pour pousser l’industrie immobilière à l’action ?

Par où on commence?

Pour évaluer ce qu’il faut faire dans un immeuble, il faut habituellement surveiller et comparer l’utilisation énergétique actuelle, identifier les occasions d’améliorer et, ensuite, mettre en œuvre les améliorations requises. Chaque projet varie selon certains facteurs tels la durée, les échéances des objectifs de réduction d’émissions et la disponibilité des capitaux ou du financement, mais l’activité se répartit en trois catégories.

01.

Des actions peu dispendieuses mais à effet important pour réduire la demande en énergie

Se concentrer d’abord sur les changements et l’optimisation opérationnels, à commencer par la cueillette de données vérifiées sur comment et quand l’espace est utilisé, les modèles d’occupation et les heures du jour où l’énergie est utilisée afin d’optimiser l’efficacité. L’installation de compteurs et senseurs automatiques aide à identifier quels systèmes ou parties de l’immeuble font augmenter la consommation énergétique, et permet d’évaluer la comparaison de performance. Tout cela permet de répartir les coûts actuels et futurs et crée les bases pour la comptabilité carbone dans les différents aspects de l’immeuble et entre les différents occupants dans un immeuble à locataires multiples.

02.

Introduire des améliorations physiques de l’efficacité énergétique à faible coût et effet considérable

Les propriétaires et occupants devraient profiter des victoires faciles avant de s’attaquer aux travaux à grande échelle et plus lourds. L’amélioration de l’utilisation de l’équipement et des systèmes de gestion et la remise en service des systèmes de monitoring et d’évaluation peuvent prolonger la vie des immeubles et rapprocher leur performance de celle prévue au départ. La mise à niveau de l’éclairage en changeant pour DEL est banale, mais est vite rentabilisée et permet ensuite des économies non négligeables.

03.

Les changements structuraux plus dispendieux

Le chauffage et la climatisation demandent beaucoup d’énergie. Il faut donc envisager certaines mises à niveau pour améliorer la composition de l’immeuble, l’efficacité thermale et les sources d’énergie. Cela inclut les façades, l’isolation des murs et des toits et le vitrage. Le remplacement du chauffage aux combustibles fossiles par des thermopompes et, si possible, la création d’énergie par des panneaux solaires, entre autres, est primordial pour atteindre le net zéro.

Obstacles à l’entrée

Ce n’est pas tout d’identifier ce qui est nécessaire. Il faut aussi élaborer un plan pratique pour passer à l’action. La modernisation des immeubles existants progresse lentement puisqu’il y a des obstacles importants à surmonter, qui se situent dans deux catégories : pratique et financière.

D’un point de vue pratique, la plupart des immeubles n’ont pas été conçus en prévision d’une modernisation. Une fois que les victoires faciles sont remportées, les améliorations nécessaires qu’il reste à faire peuvent être envahissantes et difficiles à effectuer dans un local occupé. Les structures de baux peuvent limiter les droits des propriétaires d’immeubles pour faire des mises à niveau, alors que les occupants seront réfractaires à éponger les coûts et dérangements causés par des travaux majeurs, à moins que ces derniers créent un avantage direct et réalisable pendant la durée de leur bail.

Les occupants sont de plus en plus tentés de réduire leur empreinte carbone4 et si les avantages potentiels de moderniser leur espace semblent suffisants, qu’ils soient financiers ou non, les occupants peuvent désirer collaborer avec le bailleur pour trouver une solution raisonnable. C’est surtout le cas lorsque la propriété est importante pour la stratégie globale d’environnement de travail de l’occupant, et qu’il considère demeurer sur place après la durée du bail en cours. Dans ce cas, la récente expérience de télétravail et l’adoption de pratiques de travail flexibles peuvent faciliter la libération du local pour la durée des travaux sans dérangement excessif.

Toutefois, la négociation de telles ententes avec tous les occupants d’un immeuble multilocataires sera vraisemblablement difficile. Les propriétaires d’immeubles font face à des défis majeurs pour planifier les mises à niveau selon les ruptures et expirations de baux. La plupart des premiers projets de mise à niveau se trouveront probablement dans l’une des trois catégories suivantes :

  • Le secteur public, où un plus grand nombre de facteurs sont inclus dans le calcul coût-bénéfice;
  • Les propriétaires occupants, qui sont bien placés pour profiter de toutes les épargnes opérationnelles et toute augmentation de la valeur du capital qui en résulte5; ou
  • Les immeubles en occupation simple impliquant souvent des baux plus longs, dans les cas où le bailleur et le locataire voient suffisamment de valeur dans ce type de travaux.

Plus le travail à effectuer est important et plus le nombre de locataires affectés est élevé, plus il sera difficile d’élaborer un plan acceptable de travaux et, par conséquent, plus grande sera la tentation pour le bailleur de remettre ces travaux à plus tard, jusqu’à ce qu’ils soient inévitables.

Questions financières

Si complexes soient les difficultés pratiques, le plus grand obstacle à la mise à niveau d’immeubles, c’est souvent le coût et le financement. Il est extrêmement difficile de généraliser sur le coût occasionné puisqu’il variera énormément d’un immeuble à l’autre. La mise à niveau d’un immeuble des années 1990 aux spécifications bien étudiées ne se compare pas à la mise à niveau d’une vieille structure de brique qui date du début du XXe siècle.

Il est encore plus difficile de généraliser pour déterminer si une telle dépense se justifie du point de vue commercial, étant donné la grande variation des valeurs locatives et capitales entre les marchés et même à l’intérieur de ceux-ci. Si peu de mises à niveau sont en cours qu’il peut sembler que la question n’est pas dans la mire des propriétaires ou que de telles mises à niveau ne soient pas rentables ni viables. Si les propriétaires ne sont pas très au parfum des bienfaits de cette activité, ils le deviendront naturellement et rapidement. Cependant, après de multiples projets avec des investisseurs majeurs, on peut dire que le montage d’un dossier financier en béton pour une mise à niveau peut s’avérer un défi, un problème à aborder sans délai.

Lorsque les épargnes d’énergie pour les opérations occasionnées par une mise à niveau sont importantes et démontrables, cela peut créer un revenu pouvant servir à payer les dépenses initiales en capital. Il y a diverses façons d’utiliser ce procédé pour financer des travaux. Les frais d’exploitation réduits combinés à d’autres avantages non matériels pour l’occupant peuvent résulter en un loyer plus élevé. Par ailleurs, selon la structure du bail, le bailleur peut maintenir le loyer et les services à un coût constant, lui permettant de bénéficier de frais d’exploitation plus faibles comme d’un revenu additionnel net6. Dans bien des cas, surtout lorsque le locataire est dérangé pendant les travaux, une répartition des avantages financiers entre le bailleur et le locataire est probable.

Divers mécanismes de financement sont déjà en développement, avec de nombreux prêteurs entrant sur le marché pour financer des mises à niveau7. Le constat de la différence des valeurs locatives et en capital entre les immeubles écologiques et le marché en général aidera à soutenir les dossiers pour les mises à niveau8, surtout parce que cette différence devrait s’accentuer.

Dans de telles situations, les gouvernements peuvent jouer un rôle dans la structure et la canalisation des finances pour permettre ces mises à niveau, bien que l’on voie déjà apparaître divers financements du secteur privé. Cependant, il y aura sans doute toujours des situations où les mises à niveau ne sont pas viables pour le moment, possiblement en raison du coût prévu comparé aux loyers futurs, ou encore parce que la période de rentabilisation est trop longue pour justifier un tel investissement. C’est là où le secteur public doit agir, et à la fois la carotte et le bâton seront probablement utilisés.

Dans le cas de circonstances singulières pour l’immeuble ou les parties impliquées, des subventions ou autres incitatifs financiers peuvent être obtenus pour combler l’écart de financement. Les vieux immeubles, les œuvres caritatives ou les individus à faible revenu pourraient se voir offrir des combinaisons de subventions, de prêts ou de réductions d’impôts pour encourager les travaux de modernisation. De tels mécanismes existent déjà, surtout pour les propriétaires particuliers du secteur résidentiel9. On s’attend à une expansion importante de cette approche dans la plupart des pays au cours des prochaines années. Vu les avantages de telles initiatives pour l’image de marque, de nombreuses annonces en ce sens devraient être faites dans la foulée de la COP26.

Que ce soit pour éviter que les actifs soient bloqués ou pour rééquilibrer les coûts et bénéfices associés aux mises à niveau, le marché devra s’ajuster.

Mais, ultimement, les gouvernements devraient avoir recours aux normes des immeubles et à la réglementation sur les émissions pour motiver le secteur privé à entreprendre les travaux requis. Certains traîneront la patte, mais les traités internationaux et l’opinion publique forceront les gouvernements à agir. Les investisseurs et les bailleurs commerciaux sont une cible facile pour les politiciens et rien ne laisse croire que le secteur immobilier, qui est essentiel à la réduction d’émissions, sera épargné.

L’approche qu’adopteront les gouvernements se précise déjà. En Angleterre et au Pays de Galle, en 2030 il sera impossible d’accorder un bail dans un immeuble commercial à moins qu’il atteigne les normes énergétiques qui sont présentement atteintes dans seulement 15 % des immeubles. Les Pays-Bas ont une stratégie similaire pour 202310. À New York, des mesures de plus en plus punitives concernant les émissions rendront les immeubles de mauvaise qualité si dispendieux qu’ils seront éventuellement non louables11.

Peu importe le mécanisme, les gouvernements obligeront les occupants à se concentrer sur l’offre limitée d’immeubles aux normes. Cela rehaussera l’activité dans les meilleurs immeubles et réduira la valeur des autres. Que ce soit pour éviter que les actifs soient bloqués ou pour rééquilibrer les coûts et bénéfices associés aux mises à niveau, le marché devra s’ajuster.

En Europe, le projet Carbon Risk Real Estate Monitor (CRREM)12 est conçu spécialement pour aider les investisseurs à identifier les actifs à risque d’un blocage en raison des cibles « net zéro » afin de les encourager à entreprendre les mises à niveau nécessaires sans trop tarder. Quelques-uns attendront à la dernière minute, espérant que le gouvernement fléchisse et ne mette pas ses menaces réglementaires à exécution. Mais, les prêteurs et investisseurs devant identifier, évaluer et divulguer publiquement les risques carbone associés à leur portefeuille13, les marchés financiers pourraient ne pas leur permettre de reporter leurs travaux.

Le processus de mises à niveau peut sembler lent présentement, mais la COP26 fera accélérer les activités.


1https://globalabc.org/sites/default/files/inline-files/2020%20Buildings%20GSR_FULL%20REPORT.pdf 2https://iea.blob.core.windows.net/assets/4719e321-6d3d-41a2-bd6b-461ad2f850a8/NetZeroby2050-ARoadmapfortheGlobalEnergySector.pdf 3https://globalabc.org/sites/default/files/inline-files/2020%20Buildings%20GSR_FULL%20REPORT.pdf 4Voir Main d'œuvre : force de la nature 5Voir Réaction en chaîne 6Une telle approche exige que le propriétaire soit en mesure de tirer parti de la réduction des coûts énergétiques, ce qui n'est pas possible si le bail spécifie une redevance de service basée sur les coûts directs. Cela peut être possible dans des situations, comme les opérations de coworking, où les propriétaires facturent des frais fixes « tout compris » pour l'espace plutôt que d'allouer des coûts spécifiques aux occupants sur une base transparente de « répercussion ». 7Voir La couleur de l'argent 8Voir Dollars et bon sens 9Par exemple… https://www.cmhc-schl.gc.ca/en/professionals/project-funding-and-mortgage-financing/funding-programs/all-funding-programs/canada-greener-homesneed source that reviews the subject and/or examples … 10https://business.gov.nl/amendment/ban-office-buildings-are-not-energy-efficient/ 11https://www.urbangreencouncil.org/content/projects/all-about-local-law-97 12https://www.crrem.eu/ 13Voir La couleur de l'argent

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