DIX TENDANCES POUR UN MONDE CARBONEUTRE

10. Des récompenses justes

« Les changements climatiques sont plus qu’une crise environnementale. Ils constituent une crise sociale et nous obligent à aborder des questions d’iniquité à plusieurs niveaux : entre pays riches et pauvres, entres riches et pauvres d’un même pays, entre les hommes et les femmes et entre les générations ».

- La Banque mondiale, 20211

Les changements climatiques sont présentement responsables d’environ 150 000 décès par année dans le monde2. Ce chiffre devrait augmenter à 250 000 décès par année entre 2030 et 2050 en raison du risque croissant de phénomènes météorologiques extrêmes, des maladies et de la malnutrition résultant de la crise climatique3. Des millions de plus feront face à l’insécurité économique due aux effets sur leur propriété et leurs gagne-pain4.

Ce risque accru ne sera pas réparti équitablement, ni en termes de géographie, ni socialement. Ceux qui, jusqu’à présent, ont contribué le moins aux changements climatiques seront généralement les plus touchés5. Près du tiers de la population mondiale vivent dans des zones arides ou semi-arides, qui connaissent une plus grande concentration de groupes désavantagés et font face à des défis supplémentaires dus aux changements climatiques6. Non seulement ces groupes subiront-ils une part disproportionnée des effets, mais ils ont aussi tendance à être moins bien placés pour en supporter les conséquences.

LES PAYS CUMULANT LE PLUS D’ÉMISSIONS (1850-2021)

image

Le niveau soutenu de ces effets deviendra la caractéristique qui définit notre époque. Des milliers de gens dans le monde sont sortis dans la rue pour demander des actions plus importantes des gouvernements et des entreprises pour réduire les GES et gérer les effets déjà apparents des changements climatiques. Les gouvernements et le secteur privé ont chacun un rôle important à jouer. Tous deux doivent s’assurer que dans l’élaboration de solutions aux défis climatiques, nous n’augmenterons pas les iniquités sociales.

Menaces existentielles

Les changements climatiques présentent de plus en plus de menaces existentielles envers les résidences et les vies, pas au sens de « l’avenir de la planète », mais de façon directe et immédiate. La Banque mondiale estime que dans six régions du monde, dès 2050, 216 millions de personnes pourraient être déplacées par la hausse du niveau de la mer, une météo plus fréquemment dans les extrêmes et des pénuries alimentaires7.

Les effets ne se font pas sentir que dans des pays lointains. Aux États-Unis, plus de 1,2 millions de personnes vivent loin de leur maison en raison d’inondations, de fortes tempêtes et d’incendies de forêt. Dans les dix dernières années, près de 8 millions de citoyens américains ont perdu leur maison en raison de tels événements et 50 millions de plus devraient subir le même sort dans les prochaines décennies8.

Parmi la population affectée, les événements climatiques touchent les communautés ethniques et à faible revenu de façon disproportionnée. Les autochtones américains et les premières nations d’Alaska ont 48 % plus de chances que les autres groupes de vivre dans un secteur qui sera inondé par la hausse du niveau de la mer, alors que les Latino-américains ont 43 % plus de chances de vivre dans des communautés qui perdront des heures de travail en raison de la chaleur extrême9. Au-delà des États-Unis, ce problème est amplifié : 90 % des 1,5 milliard de personnes vivant avec un risque au moins modéré d’inondation vivent dans des pays à faibles ou moyens revenus10.

Une meilleure compréhension des effets potentiels des changements climatiques aidera les planificateurs et promoteurs à cibler les secteurs peu menacés par le climat et à s’assurer que les immeubles sont conçus pour résister aux intempéries. En plus du déclin rapide requis des émissions afin d’atteindre le net zéro pour 2050, une attention au développement durable pourrait atténuer de jusqu’à 80 % le nombre de réfugiés climatiques11, ce qui aurait des effets sur l’équité sociale.

Les gouvernements ont un grand rôle à jouer pour encadrer les politiques incitatives réfléchies. Le zonage, les taxes et les subventions qui encouragent l’utilisation des transports collectifs au lieu des véhicules privés peuvent avoir des avantages importants sur les plans social, économique et environnemental. Un accès accru aux opportunités d’emploi est bénéfique pour les travailleurs et les entreprises. Aussi, les amendes pour l’utilisation de vieux véhicules avec moteur à combustion peuvent être sensées écologiquement, mais elles entraîneront des conséquences socio-économiques malheureuses pour les personnes qui dépendent de leur voiture pour travailler mais n’ont pas les moyens de s’acheter un nouveau modèle électrique.

Les gouvernements ont un grand rôle à jouer pour encadrer les politiques incitatives réfléchies.

La durabilité commence à la maison

Même s’il n’est pas physiquement menacé dans l’immédiat, la majeure partie de l’inventaire résidentiel mondial a besoin d’une attention immédiate. Les maisons énergétiquement inefficaces causent des dommages environnementaux et sociaux énormes en utilisant plus d’énergie que nécessaire pour le chauffage et la climatisation. Cette consommation excessive, souvent due à une isolation inadéquate, augmente le coût de la vie, ce qui affecte beaucoup plus les ménages à faibles revenus.

La pauvreté énergétique arrive lorsque des ménages ont des factures d’énergie au-dessus de la moyenne qui les maintiennent sous le seuil de la pauvreté. On estime qu’environ 7 % de la population européenne a eu de la difficulté à maintenir son foyer à une température confortable en 2019 en raison de la pauvreté énergétique12. Aux États-Unis, 25 millions de ménages disaient se priver de nourriture et de médicaments pour payer leur facture d’électricité, alors que 17 millions de ménages ont risqué leur alimentation énergétique ou se sont fait couper cette dernière pour cause de non-paiement13. Le gouvernement britannique dépense en moyenne 27 millions de livres chaque hiver en paiements pour le froid aux résidents du pays qui ne peuvent se permettre de chauffer leur maison adéquatement14.

La météo devenant plus extrême et moins prévisible, ce problème sera amplifié écologiquement et financièrement. Les maisons chauffées au gaz et mal isolées requerront plus d’énergie pour réguler leur température pendant les événements météo extrêmes plus fréquents, alors que les prix de l’énergie continuent de grimper en raison de la transition des combustibles fossiles vers des énergies plus vertes (présentement plus dispendieuses pour chauffer une maison) et la probabilité que les taxes sur les énergies non renouvelables augmenteront de façon importante dans les prochaines années.

On peut déjà voir ce scénario se concrétiser en Europe. Un hiver plus froid que la moyenne en 2019-2020 a épuisé les réserves de gaz plus vite que d’habitude. Le restockage, qui se déroule normalement en été, a été plus lent en 2021, en raison notamment d’un approvisionnement limité de la Russie et de la demande de la Chine. L’élimination progressive des centrales au charbon a réduit l’approvisionnement en énergies alternatives alors que des vents faibles ont réduit la contribution de certaines sources renouvelables.

Cette « tempête parfaite » a réduit l’approvisionnement en gaz alors que la demande saisonnière a augmenté au moment où les entreprises essaient d’accélérer la production après les baisses dues à la pandémie. Ce qui a fait grimper les prix du pétrole, avec une augmentation qui s’est multipliée par huit en six mois à l’été et l’automne 202115. Le fardeau de ces augmentations sera porté davantage par ceux qui n’en ont pas les moyens16.

Les maisons énergétiquement inefficaces occasionnent une consommation excessive, souvent due à une isolation inadéquate, augmentant le coût de la vie, ce qui affecte beaucoup plus les ménages à faibles revenus.

Identifier les opportunités

Tout comme nous reconnaissons l’importance de se défaire du chauffage et de la climatisation aux combustibles fossiles pour réduire notre impact sur l’environnement, nous devons également reconnaître qu’il y a des iniquités dans notre capacité à accéder à d’autres options. Ces iniquités comprennent, sans s’y limiter, les niveaux de revenus disponibles (ce qui limite notre pouvoir d’achat), la proportion de gens qui sont locataires (et ont moins la possibilité de contrôler leur approvisionnement en énergie) et les niveaux de compréhension des sources d’énergie renouvelables (ce qui réduit la capacité de prendre des décisions efficaces).

Les propriétaires de logements locatifs, plus particulièrement les exploitants commerciaux qui construisent et investissent à grande échelle, ont un rôle important et la responsabilité d’aborder cette question. L’investissement dans la mise à niveau de leur propriété a des avantages à la fois écologiques et sociaux, soit la réduction d’émissions et la réduction des factures d’énergie pour les locataires.

Les installations de production d’énergie renouvelable sur place présentent un bon potentiel de réduction des factures et l’amélioration de la qualité de vie des ménages tout en réduisant la pression sur le réseau. Des panneaux solaires et autres technologies photovoltaïques augmentent le potentiel de production passive d’énergie à domicile, avec des applications comme les ardoises pour la toiture et les baies vitrées. Les thermopompes sont aussi un moyen efficace en énergie de chauffer une maison, épargnant temps et carbone. Ces options sont plus faciles à installer dans de nouveaux immeubles, mais la mise à niveau est aussi possible. Le prix de ces articles est élevé mais diminue d’année en année17, ce qui signifie qu’elles deviennent un outil pour rendre les habitations plus durables et plus abordables.

Un bon exemple d’investissement territorial en justice climatique se trouve à Portsmouth au Royaume-Uni. En 2018, le conseil de ville a entrepris le plus grand modèle de normes EnerPHiT18 livré à ce jour avec des résidents sur place, améliorant les conditions physiques (et la valeur) de l’inventaire résidentiel et créant un effet positif sur la santé des résidents, sur leur bien-être et en réduisant leur facture d’énergie. De tels exemples sont encourageants, mais plus faciles à mettre en œuvre pour les propriétaires du secteur public dont les acteurs principaux vont davantage intégrer les avantages d’une telle valeur sociale dans l’analyse coûts-bénéfices du projet.

Le défi pour de nombreux propriétaires d’immeubles, c’est le point auquel l’inventaire existant est apte à subir une mise à niveau énergétique, ce qui fit craindre que les règlements exigeant des améliorations énergétiques pourraient mener à la démolition de nombreuses maisons existantes. Un tel geste aurait le double effet négatif de relâcher du carbone additionnel et de réduire l’inventaire de logements abordables. Les gouvernements doivent réfléchir et planifier attentivement pour assurer qu’ils évitent des conséquences non souhaitées à leurs politiques environnementales bien intentionnées.

Les défis sont réels, mais il y a là une belle opportunité d’affaires pour la création de valeur économique, sociale et environnementale par des investissements stratégiques dans de nouvelles constructions conçues avec le climat à l’idée et la mise à niveau astucieuse et innovante d’immeubles existants. Une telle approche exige une attention sur la rétention de valeur d’actif à long terme, pendant que le bien est sujet à moins de risque, requiert des primes d’assurance et d’entretien plus basses et bénéficie de résidents en meilleure santé, plus heureux et mieux nantis. Les gouvernements doivent s’impliquer en créant un environnement législatif qui encourage et soutient une telle approche, mais le fardeau est surtout sur le secteur privé pour qu’il fasse ce qu’il fait de mieux : identifier l’opportunité d’affaires et trouver des moyens de la monnayer le plus efficacement possible.

Une question de mentalité?

Le principal défi auquel nous faisons face, c’est que les solutions actuelles à la crise du climat sont souvent onéreuses et impopulaires auprès des individus et des entreprises. L’innovation et la créativité sont nécessaires pour mettre au point des solutions efficaces, abordables et applicables sans nécessiter des actions au-delà de ce que les gens et les entreprises sont prêts à accepter. Les mentalités changent, l’argent est davantage réparti de façon à agir sur les fonds d’investissements qui ciblent des bénéfices environnementaux et sociaux spécifiques. Dans certains domaines on peut déjà démontrer la logique commerciale de ces actions19. Dans d’autres, la croyance prédominante est que les investissements pour rendre les communautés et les villes durables seront payants en bout de ligne.

La récente pandémie (et même la crise financière d’il y a une dizaine d’années) nous donne une idée de ce qu’il faudra pour aborder les défis des changements climatiques. Elle indique aussi ce qui sera possible. Face à une crise évidente et importante, la communauté mondiale des gouvernements, des entreprises et des individus peut unir ses forces. Quand la COVID-19 a frappé, les gouvernements se sont consultés pour financer la recherche vaccinale. Des volets entiers de la société ont fermé leurs portes et des dettes astronomiques ont été contractées pour financer des programmes de protection d’emploi. Des entreprises et des individus ont changé leur façon de travailler (et de magasiner et de voyager) d’un coup. Résultat : des vaccins ont été mis au point et distribués en un temps record, sauvant des millions de vies et permettant la reprise de l’économie mondiale.

La réponse mondiale à la pandémie de COVID-19 montre ce qui peut être accompli quand la société se réunit derrière un même objectif. S’il faut reconnaître qu’une réelle crise existe pour susciter une telle collaboration, on ne peut qu’espérer qu’une catastrophe ne sera pas nécessaire pour déclencher les actions requises. En attendant, les investisseurs et promoteurs prévoyants observent déjà les changements dans le paysage, lesquels permettent des opportunités de livrer des avantages sociaux et environnementaux par des moyens qui promettent des rendements intéressants.


1https://www.worldbank.org/en/topic/social-dimensions-of-climate-change#1 2https://www.who.int/heli/risks/climate/climatechange/en/ 3https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/climate-change-and-health 4https://www.unhcr.org/uk/climate-change-and-disasters.html 5Islam, S. N. & Winkel, J., 2017. Climate Change and Social Inequality. UN Department of Economic & Social Affairs, 152. Available at: https://www.un.org/esa/desa/papers/2017/wp152_2017.pdf 6https://www.un.org/esa/desa/papers/2017/wp152_2017.pdf 7https://www.worldbank.org/en/news/press-release/2021/09/13/climate-change-could-force-216-million-people-to-migrate-within-their-own-countries-by-2050 8https://www.nytimes.com/interactive/2020/09/15/magazine/climate-crisis-migration-america.html 9https://www.washingtonpost.com/climate-environment/2021/09/02/ida-climate-change/ 10https://www.bbc.co.uk/news/world-us-canada-58565627 11https://www.worldbank.org/en/news/press-release/2021/09/13/climate-change-could-force-216-million-people-to-migrate-within-their-own-countries-by-2050 12https://www.odyssee-mure.eu/publications/policy-brief/fuel-poverty-energy-efficiency-buildings.html 13Bednar, D. J., Reames, T. G., 2020. Recognition of and response to energy poverty in the United States. Nat Energy (5). Disponible au : https://doi.org/10.1038/s41560-020-0582-0 14https://www.gov.uk/government/statistics/cold-weather-payment-estimates-2020-to-2021/background-and-methodology-cold-weather-payment-estimates 15https://www.ft.com/content/c94cee7d-4ffe-4946-a83b-b4f85026b74f 16https://www.euronews.com/2021/10/01/fuel-poverty-to-rise-dramatically-in-uk-as-natural-gas-prices-soar-charities-warn 17https://www.irena.org/-/media/Files/IRENA/Agency/Publication/2021/Jun/IRENA_Power_Generation_Costs_2020.pdf 18EnerPHit est la norme établie pour la rénovation des bâtiments existants utilisant les principes et composants de base de la maison passive, mais reconnaissant que les bâtiments existants sont souvent impossibles à moderniser selon les mêmes normes de performance qu'un nouveau bâtiment. 19Voir Dollars et bon sens

image

Politique relative à la vie privée | Conditions d'utilisation | © 2021 Avison Young (Canada) Inc. Tous droits réservés.

image
image
image
image